Article paru sur le Marseille Bondy Blog - 18 janvier 2011
UN CHANTIER AU MILIEU des écoles et des habitations, c'est ce qui attend certains habitants de la Joliette dès le mois prochain. Le FRAC (Fonds Régional d'Art Contemporain) s'installe non sans fracas. Gaëlle nous raconte
Conseil d'école extraordinaire en ce 11 janvier ! Une maternelle, une école primaire et un collège en ZEP de la Joliette vont très bientôt se retrouver avec un chantier imposant de l'autre côté de la rue. Ce chantier, c'est l'arrivée du FRAC (Fonds Régional d'Art Contemporain), qui est prévue depuis plusieurs années et dont les travaux commencent ce mois-ci. Beaucoup de poussière en perspective, des rotations de camions et bétonneuses à n'en plus finir, une grue, du bruit, de l'encombrement, peut-être du danger pour les minots. Les riverains s'inquiètent et s'interrogent sur la nécessité de ce projet.
Pour répondre, ils sont venus en nombre faire oeuvre de « concertation » : les élus, le directeur du FRAC, l'architecte, divers cabinets d'études, tous en costume, chaussures pointues, armés de maquettes et Powerpoint en rafale. Trois minutes à peine après le début de cette réunion prévue pour informer les parents d'élèves, ça dérape déjà. Il faut dire qu'en face, pas de costumes, pas de chaussures à rallonge. La confrontation est à l'image du quartier depuis quelques années : très contrastée. D'un côté, les encravatés, très industrieux, suivant leur logique propre, de l'autre, un tas d'habitants de ce quartier des plus populaires. On pourrait penser aux légions organisées de Rome essayant de dialoguer avec une horde de gaulois désordonnés.
Dès la première présentation en image de synthèse d'un futur espace classieux, aéré, prévoyant salles de conférences et résidences d'artistes, une femme se dresse scandalisée. La gorge nouée et dégageant une émotion frappante, elle crie : « Je ne comprends pas. Vous avez tout ce fric, et vous venez construire un bâtiment pour l'art contemporain ici où nos enfants n'ont pas même un espace vert pour jouer ? C'est honteux ! Nom d'une pipe, où vont s'exprimer nos gamins qui pètent les plombs, est-ce que nos artistes de 3 à 15 ans vont pouvoir dessiner sur ces murs qui vont coûter des millions ? Ils vont les taguer vos murs, et les flics vont les prendre ! »
Moment de flottement. « Calmez-vous madame, nous comprenons votre colère, elle est légitime. » Tiens, je ne connais pas le nom ou le statut de l'encravaté qui s'exprime ainsi mais c'est plaisant à entendre. Hélas, la lourde rhétorique ne vacille pas longtemps ; très vite un autre rattrape le coup : « Ils se l'approprieront peut-être autrement qu'en le taguant, car il leur appartiendra un peu. » Pascal Neveux, directeur de l'établissement, enchaîne : « N'oubliez pas que l'une des missions fondatrices des FRAC consiste à favoriser la rencontre entre les publics. Vos enfants bénéficient d'une initiation à l'art contemporain depuis le lancement du projet en 2006 ! » Une des institutrices me le confirme, cela fait deux ans qu'elle emmène sa classe dans les locaux actuels à côté de la Vieille Charité, et les petits adorent.
« Oui, mais est-ce que ce sera gratuit pour les non-scolaires ? La majorité des familles ici sont trop pauvres pour payer 5 € un accès au musée ! ». Aïe. Non, ce ne sera pas gratuit, visiblement. On s'embrouille un peu dans les explications du côté des romains. Faire bénéficier les riverains d'un contact avec la culture comme c'est le cas à Belsunce avec l'Alcazar, c'est bien joli, mais la bibliothèque est gratuite, elle.
La séance se poursuit, avec ses hauts et ses bas, de grands moments de doute. Le chef de chantier venu plein d'assurance présenter son planning n'avait manifestement pas prévu que l'assistance compterait des gens du métier. Un des gaulois lui demande, encore tout poudreux du travail de la journée, si on a trouvé des masses rocheuses dans l'étude des sols. « Parce que si il y en a, vous allez faire trembler la maternelle avec vos marteaux-piqueurs ! » Le directeur du collège s'enquiert poliment auprès de l'architecte : « vos facettes de verre, là, sur la façade, ce sera du trempé ou du feuilleté ? » Les deux mon général, répond fièrement l'homme de l'art. « Ah bon, parce que nous à Izzo, on a dû remplacer le trempé par du polycarbonate, à cause des jets de cailloux. Avez-vous pris en compte les violences urbaines ? »
A la fin de la réunion, tout le monde est bien fatigué. Les encravatés remballent leurs maquettes et leur vidéoprojecteur, les mères de famille râlent parce que ce n'est pas ça qui va mettre en route le repas du soir, les enseignants sont désolés parce que l'ordre du jour n'a pas été suivi. Mais bon, quand même. « L'an dernier, quand ils ont construit l'hôtel de luxe juste à côté, personne n'est venu nous avertir, sans même parler de nous demander notre avis. C'est presque sympa de leur part de nous dire gentiment qu'ils nous mettent devant le fait accompli. »