Article paru sur http://josefine-mag.fr/ le 10 février 2011
“Se souvenir du passé pour comprendre le présent et préparer l’avenir”, telle est la devise du Conservatoire du Patrimoine Médical de Marseille.
Un patrimoine inestimable :
Christian Boutin est devenu médecin en 1958. Aujourd'hui, il fait partie de l'Association des Amis du Patrimoine Médical de Marseille, à l'origine du Conservatoire du même nom implanté à l'hôpital Salvator, dans le 9ème arrondissement. « Nous étions une bande d'amis, nous nous intéressions à l'histoire. Nous avons voulu rassembler des éléments sur le patrimoine médical des hôpitaux, de la faculté, du Conseil de l'Ordre et de la pratique libérale ».
Un riche matériau en effet, car Marseille - ville portuaire, donc sujette aux épidémies - est de tradition hospitalière depuis des siècles. Dès l'entrée du Conservatoire, on est accueilli par une carte ancienne, portant les emplacements de divers établissements, créés pour la plupart au XVIIème : l'Hôpital du Refuge, conçu en 1630 pour les “filles de mauvaise vie repentantes”, l'Hôpital des Enfants Abandonnés (1674), l'Hôpital Royal des Forçats (installé en 1646 dans l'arsenal des galères) ... en tout une bonne vingtaine.
Les salles suivantes présentent par spécialité les instruments utilisés par les hommes de l’art à différentes époques : les forceps n’ont pas changé démesurément, mais l’outillage des dentistes est nettement moins terrifiant aujourd’hui[1], et certaines pratiques qui n’ont plus cours ont laissé à la postérité des objets très mystérieux pour l’oeil du novice. Monsieur Boutin sourit : “les concepteurs de clystères ont toujours fait preuve de beaucoup d’imagination. Le côté obsessionnel de l’humanité sans doute”.
Entre autres merveilles récoltées au fil des ans par le Conservatoire, on trouve le coffre-fort de l’Hôtel-Dieu (XVIIème), une édition originale des oeuvres complètes d’Ambroise Paré, le chirurgien de Charles IX, et de nombreux bustes et tableaux ayant orné les différentes institutions médicales marseillaises. Mais tout aussi émouvantes sont les petites curiosités anonymes : une couveuse en bois du XIXème, qui fonctionnait à l’eau chaude, des ventouses en verre finement soufflé, une bouteille “d’eau de laitue” arrêtent le regard.
Certaines salles sont pourvues de mannequins en tenue d’époque ; le plus impressionnant est sans aucun doute ce Médecin-Bec équipé contre la peste : une “chemise préservative”, trempée dans de la cire, et surtout un masque à bésicles intégrés et capuche, dont le bec d’oiseau en bronze contenait des substances odoriférantes[2] censées protéger de la contagion.
De belles perspectives :
Le Conservatoire n’a pas seulement une vocation patrimoniale. II accueille un centre de documentation et de recherches historiques et se montre également très actif sur le plan culturel et événementiel. A partir de ses collections permanentes, il est amené à organiser régulièrement des rétrospectives (prochainement, une exposition sur l’épidémie de peste ayant frappé Marseille en 1720 sera mise en place dans le hall de la Bibliothèque Universitaire de la Timone, une autre est prévue au Conseil de l’Ordre des Médecins).
Et si vous voulez tout savoir sur des sujets tels que l’hermaphrodisme, la médecine face au vice solitaire, les inhumations prématurées ou les chirurgiens navigants, vous gagnerez à vous rendre chaque deuxième jeudi du mois dans l’amphithéâtre HA1 de l’hôpital Timone Adulte. L’accès aux conférences est libre[3]. La prochaine se tiendra le jeudi 10 mars 2011 et aura pour thème “Remèdes secrets et secrets d’apothicaires”.
De fait, l’Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille qui entame une période de restructuration intense se propose de mettre à profit l’accès de la ville au titre de Capitale Culturelle de l’Europe en 2013[4]. Le Conservatoire est un outil parmi d’autres dans cette stratégie, mais il pourrait bénéficier à cette occasion d’une mise en lumière inédite. Concrètement, une exposition permanente consacrée à l’histoire de la médecine devrait être inaugurée en partenariat avec l’Association des Amis du Patrimoine Médical, et il est même question d’un futur Musée de l’AP-HM, de l’organisation de colloques et de l’accueil de séminaires.
Il est vrai que Marseille, vieille cité d’histoire et de santé, mériterait que l’on s’intéressât de plus près à son patrimoine médical exceptionnel. La plupart des grandes villes françaises ont déjà investi depuis longtemps en la matière, parfois sans présenter autant d’atouts potentiels.
[1] Âmes sensibles, abstenez-vous de chercher à connaître les usages de la clé de Garengeot.
[2] Le fameux “vinaigre des quatre voleurs”, composé selon les recettes d’absinthe, romarin, sauge, rue, girofle, ail, camphre...
[4] La synthèse du projet culturel de l’AP-HM :