Article paru dans Zibeline n° 41
M. Nguyen avait 18 ans lorsqu'il est arrivé à Marseille en 1939. Il est l'un des seuls survivants des 20 000 indochinois que l'administration coloniale a fait venir en France aux abords de la seconde guerre mondiale, pour les mettre au travail dans les rizières camarguaises, la poudrerie de Saint-Chamas, les zones forestières ou les salins.
Sur les grands panneaux de l'exposition qui nous révèlent le destin des ces « travailleurs inconnus », on peut lire qu'ils ont été parqués dans le bâtiment des Beaumettes, avant d'être répartis dans divers camps insalubres, où sévissaient la tuberculose, la malnutrition et les parasites.
Il pleure presque, ce vieux monsieur de 90 ans, en prononçant son discours. On l'imagine jeune homme vif et plein d'énergie, débarquant en Provence à l'orée de la guerre, peinant sur notre sol pendant des années. Nous sommes le 9 mai 2011, et il vient enfin d'être reconnu par la France. En guise de Marianne, c'est Aïcha Sif, présidente de la commission culture au Conseil Régional PACA, qui est venue honorer M. Nguyen et son compatriote M. Tran. L'élue lui succède au micro ; elle aussi a la gorge serrée, et lorsqu'elle dit : « Ce n'est pas tous les jours que l'on a le privilège de vivre des instants chargés d'une telle émotion », on la croit sans difficulté.
Si cette reconnaissance est aujourd'hui possible, c'est grâce à la persévérance de Pierre Daum, journaliste et auteur de l'ouvrage Immigrés de force, travailleurs indochinois en France, 1939-1952 (Actes Sud, 2009). Une entreprise fondamentale de recherche est à l'origine de l'exposition, car Pierre Daum a dû parcourir le Vietnam en long et en large pour retrouver la trace des derniers travailleurs indochinois encore en vie. « Cela n'a pas été simple, car ils ne s'étaient jamais constitués en association, et la plupart avaient disparu dans la nature. » Robert Mencherini, historien, a quant à lui mené l'enquête dans les documents d'archives pour retracer les étapes poignantes du parcours de ces hommes. On citera notamment les rapports de gendarmerie révélant des mutineries contre leurs conditions de travail, aux Salins de Giraud et à Aubagne en juillet 44, et ce cartel qui relate les suites de la Libération : « A Marseille, les travailleurs indochinois prennent le contrôle de leurs camps, mettent en place leur propre administration et se syndiquent massivement à la CGT. Au niveau national, à la suite d’un congrès tenu à Avignon en décembre 1944, est mise en place une délégation générale représentative des travailleurs indochinois. Cette délégation, sous l’influence de militants trotskistes, prend position pour l’indépendance de l’Indochine et dénonce l’envoi de troupes françaises au Vietnam. »
Un grand merci à Jacqueline Ursch, directrice des Archives Départementales des Bouches du Rhône, pour nous avoir offert la possibilité de connaître et assumer un tel passé.
Des travailleurs indochinois dans les Bouches du Rhône
Jusqu’au 31 mai 2011
Archives Départementales, Marseille
04 91 08 61 00
www.culture-13.fr