Entretien avec Thomas Sammut, préparateur mental du Cercle des Nageurs à Marseille.
Thomas Sammut est le préparateur mental du Cercle des Nageurs à Marseille. Pour accompagner au mieux les sportifs de haut niveau, il leur apprend... à douter !
Préparateur mental... Quel est votre rôle ?
Je m'occupe des 17 nageurs internationaux de Marseille, mais aussi de joueurs de polo, de football, de chanteurs lyriques... Je suis également formateur en entreprise, où je coache beaucoup de managers.
Ce sont des disciplines très variées, adoptez-vous la même approche avec chacune ?
Absolument. Quelle que soit la discipline, c'est toujours la perception d'une situation qui génère une émotion, et cette émotion génère à son tour un comportement, qui n'est pas le fruit du hasard. Les messages qui nous parviennent à l'esprit sont issus de l'inconscient à 80 %... Pour vous donner un exemple, un nageur sur le plot de départ, déterminé à faire partie des trois premiers : sa détermination peut provenir d'une obligation inconsciente, un désir d'être parfait, qui peut l'amener à vouloir en faire trop.
Et c'est un obstacle ?
Le burn out vient souvent de là, de ne pas s'accorder le droit à l'erreur. Or on peut répondre à la compétitivité de manière différente. Par la mise en avant, en amont, de la rigueur bien-sûr, mais aussi du bien-être, sans être obnubilé par le résultat. Si le Cercle des Nageurs a duré, c'est parce que nous avons insisté sur l'épanouissement personnel de chaque sportif. Nous préférons avoir des personnalités émancipées plutôt que des champions qui ne s'apprécient pas.
Le droit à l'erreur, c'est agréable à entendre !
Oui, et en plus, ça marche ! Si l'on pouvait travailler davantage en ce sens dans le monde de l'entreprise et dans celui de l'éducation, cela ferait beaucoup de bien. Quand on a commencé avec les nageurs, la majorité avaient des freins et ne se voyaient pas battre les tout meilleurs du monde. Aujourd'hui, ils le font.
Pouvez-vous détailler votre méthode ?
D'abord, identifier ses doutes. C'est tout à fait légitime de douter. La grande majorité des gens n'arrivent pas à les admettre, ils les assimilent à une faiblesse. Or le simple fait de les accepter en ôte la charge négative. De la même façon que lorsqu'on va voir un médecin, s'il pose un diagnostic, on va déjà mieux. Identifier la source du stress le diminue déjà de moitié. Nos premiers bons résultats en 2010-2011, on les a obtenus avec des nageurs qui ont admis « oui, j'ai peur ». Ils se sont accordé le droit de ne pas être des supers-héros.
C'est une méthode qui peut s'appliquer à tout un chacun...
Tout à fait. Le stress peut devenir un allié, dans n'importe quelle situation avec un enjeu. Le gros piège est de vouloir isoler nos peurs, les dénier. Il faut faire l'inverse. La peur est un formidable moteur à court terme. Mais à quel prix ? Si on l'admet, on peut travailler à moyen et long terme en toute sérénité, de manière à ce que le stress soit stimulant et non inquiétant. Avouons-le ! Si il n'y avait pas d'incertitude au niveau du résultat, on ne vivrait pas aussi intensément ces moments-là.
Il faut donc admettre la possibilité de l'échec. Pas facile dans notre société de la performance !
Notre vie n'est faite que d'apprentissages. Pour réussir quelque chose, apprendre à marcher par exemple, on a forcément échoué. Aujourd'hui on bannit les erreurs comme un échec, alors qu'on devrait les louer comme une démarche d'apprentissage, et rester dans le plaisir, la curiosité. Les freins des adultes se sont mis en place dans l'enfance, où il aurait suffit de peu de choses, encourager, dédramatiser... et l'on aurait gagné du temps.
Comment vous-même en êtes-vous venu à cette profession ?
Justement, je n'appartenais pas à un moule quand j'étais collégien, je me suis pas mal heurté à ce système trop axé sur le résultat. Et je me suis dit que plus tard, je m'y prendrai autrement.
Propos recueillis par Gaëlle Cloarec en mars 2017, pour le n°3 du semestriel Paca-Corse de la MGEN.