Dossier
Bien vivre son vieil âge
Alors que, partout dans le monde, les populations vieillissent, s'interroger sur les conditions de vie au vieil âge devient crucial. Comme l’illustre la prégnance actuelle de l’expression « bien vieillir ». Mais que recouvre cette notion et quelles en sont les recettes ? VM a enquêté pour vous.
Dossier réalisé par Gaëlle Cloarec
« Rester acteur de sa vie, le plus longtemps possible compte tenu de l'avancée en âge » : telle est la définition du concept de « bien vieillir » donnée par la sociologue-anthropologue Laurence Hardy. Dans la foulée, elle précise toutefois qu'il convient d’éviter d'en faire une injonction ou de stigmatiser les personnes qui auraient « insuffisamment » préparé leur vieillesse. L'enseignante à l'Université de Rennes 2, également formatrice en Institut de formation en soins infirmiers et en Institut de travail social, perçoit derrière l'expression « des inégalités sociales dans les processus de vieillissement ». Car, plus quelqu'un appartient à un milieu aisé, plus il lui est possible de bénéficier de soins et d'un encadrement médical solide. Des conditions qui aident au « bien vieillir », pris sous l'angle d'une avancée en âge en bonne santé. Un point de vue que corroborent les statistiques de l'Insee, avec un écart d'espérance de vie considérable entre les plus aisés et les plus pauvres : 13 ans chez les hommes, 8 ans chez les femmes (1).
Prendre soin de soi pour prévenir le déclin
Pour vieillir dans de bonnes conditions, la question de la santé est évidemment cruciale. Christophe Trivalle, médecin gériatre à l'Hôpital Paul Brousse (Paris), est l'auteur de 101 conseils pour être bien dans son âge et dans sa tête (éd. Robert Laffont). D’après lui, chacun peut s'y prendre très tôt pour préparer ses vieux jours, et continuer toute sa vie. « Tous les facteurs de prévention n'ont pas encore été trouvés, mais l'exercice physique est fondamental, de même que le régime alimentaire ». Chez les personnes déjà âgées, la prévention a aussi des résultats positifs, constate-t-il. Même en cas de maladie neurodégénérative, car elle en ralentit l'évolution. Pour en ressentir les bénéfices, il n'est pas nécessaire de forcer. Le praticien recommande la marche, ou les activités douces comme le taï chi. En matière d'alimentation, « le régime méditerranéen a fait ses preuves : beaucoup de légumes, des fruits et un peu de poisson, s'il n'est pas trop chargé en mercure ! » Il évoque également les vertus de la caféine. Boire deux à trois tasses de café par jour peut contribuer à réduire le déclin cognitif (2). Enfin, « tout apprentissage est bon ». Parmi les pratiques les plus stimulantes : faire de la musique et découvrir une langue étrangère. La lecture, elle, permet d'enrichir son vocabulaire, ce qui atténue notamment les symptômes d'Alzheimer : « une personne qui perd ses mots va pouvoir trouver plus facilement un synonyme, continuer à s'exprimer », explique le Dr Trivalle.
Changer de regard sur le vieil âge
Claire Crignon-De Oliveira, qui enseigne la philosophie à la Sorbonne (Paris), s'est penchée sur la question du vieillissement. Selon elle, l'expression « bien vieillir » présuppose « qu'il y aurait des manières de mal vieillir, avec d'emblée une approche normative, un point de vue moral ». Or, si l'avancée en âge est inéluctable, « il est possible de l’appréhender autrement qu'en l'associant à des choses négatives ». En commençant par l'accepter et, en réalisant, qu'historiquement, c'est une chance ! Spécialiste du XVIIe siècle, elle rappelle que les existences y étaient brèves, en raison des maladies, morts en couche et guerres. D'accord en cela avec le psychiatre et gériatre Olivier de Ladoucette (Cf. entretien ci-contre), Claire Crignon-De Oliveira insiste sur l'importance de donner du sens à sa vie. Et si le vieil âge était l'occasion de prendre le temps de « faire un retour réflexif sur son existence » ? Une phase nouvelle pouvant être abordée avec curiosité, en cessant d'être dans l'urgence, en accueillant sa propre fragilité.
Bernard Cassou, professeur honoraire de santé publique à l'Université de Versailles, accompagne des salariés sur le point de partir à la retraite, lors de séminaires à l'Institut de recherche en prévention santé à Paris (IRPS). Il est convaincu que vivre dans le déni « est une mauvaise piste : la peur de la décrépitude et de la mort est comme une chaudière qui ronge les corps, ouvrant la voie aux maladies ». Pour lui, mieux vaut accepter le fait que le corps change, apprendre à faire avec ses limitations. Explorer différemment les cinq sens, qui « permettent à l'énergie vitale de se renouveler », y compris dans le domaine de la vie amoureuse. Son mot d'ordre : « Caressez-vous ! ».
Favoriser un environnement bienfaisant et ne pas s’isoler
Au-delà de vieillir en bonne santé, d’autres éléments concourent à améliorer le confort et le bien-être des personnes âgées. Christophe Trivalle, spécialiste de la maladie d'Alzheimer, pointe le rôle de l'environnement. L'exposition aux particules fines est néfaste. Pour celles et ceux qui en ont les moyens, il recommande de « s'éloigner des grands axes routiers ». Lorsque le lieu de vie est sain, les personnes qui ont conservé leur autonomie préfèrent souvent demeurer chez elles le plus longtemps possible. Des aménagements, plus ou moins coûteux, sont faisables pour le leur permettre. Exemples : équiper un rez-de-chaussée pour éviter d'avoir à monter les escaliers ; poser des rampes de soutien aux endroits nécessitant des appuis. Un portail gouvernemental d'informations répertorie les différentes aides financières existantes pour adapter son logement (3). Le confort auditif participe aussi d’un environnement propice. Le Dr Trivalle invite à surveiller la baisse de l'audition après cinquante ans « car les personnes appareillées sont moins exposées aux troubles cognitifs ». Récemment, une étude de l'Inserm (4) a d’ailleurs confirmé le lien entre déficit auditif et risque de démence, de dépendance et de dépression. Dépression dont le risque est également accru en cas d’isolement. Le délitement du tissu relationnel aggrave aussi le déclin des facultés cognitives. D’où l'importance de la sociabilité : chaleur humaine et échanges enrichissent la vie jusqu'au bout.
Source : Insee Première n°1687.
Un bienfait confirmé par une étude réalisée en 2013 par la Fondation MGEN pour la santé publique, en collaboration avec une équipe américaine de Harvard, centrée sur des femmes âgées à haut risque vasculaire. Cf. fondationmgen.fr
pour-les-personnes-agees.gouv.fr/vivre-domicile/amenager-son-logement
Publiée dans le Journals of gerontology en janvier 2018.
L'odyssée d'Oldyssey
Portés par des relations très positives avec leurs grands-parents, Clément Boxebeld et Julia Mourri, membres fondateurs du projet associatif Oldyssey, ont entrepris de recenser des initiatives originales, centrées sur les personnes âgées. Leurs objectifs : mettre en avant ce qui peut rapprocher les générations et contre-balancer les clichés en offrant de la vieillesse une vision plus optimiste et joyeuse qu'il n'est habituel dans nos sociétés. Estimant les seniors insuffisamment présents dans l'espace médiatique, ils s'attachent à leur donner la parole à travers des portraits et des reportages. Leurs sujets, présentés sous forme de courtes vidéos, ludiques et rythmées, sont mis en ligne sur le site Internet oldyssey.org.
Ils apportent à la fois un éclairage sur ce qui fonctionne bien en France et sur ce qui se pratique avec succès dans d’autres pays, d’autres cultures. Leur tour du monde, débuté en octobre 2017, va durer un an. L'équipe - cinq personnes en tout - a choisi « à la fois des pays où la transition démographique est déjà bien amorcée (ex. : Japon, Canada, États-Unis), mais aussi des pays au défi d’une transition démographique accélérée (ex. : Brésil, Chine, Sénégal) ». Le site Internet s'enrichit au fur et à mesure de témoignages variés… et inspirants.
Famille d'accueil, une possibilité méconnue
L'un des reportages d'Oldyssey est consacré à une plateforme web* qui permet à des personnes âgées isolées de trouver une famille d'accueil. À ce jour, 1 550 accueillants sont formés aux besoins spécifiques des seniors, agréés et suivis par les Conseils départementaux dans toutes les régions françaises. Geneviève, 80 ans, demeure ainsi chez Clarisse, Stéphane et leurs enfants, où elle participe pleinement au rythme familial.
* cettefamille.com
L’art et les bienfaits du câlin
Au Japon, pays où le contact physique est culturellement peu favorisé, Oldyssey propose un focus sur les bienfaits de la tendresse. Yves Gineste, formateur du réseau Humanitude*, y enseigne l'art du câlin aux professionnels du soin et aux accompagnants de personnes âgées. Une technique qu’il a conçue en France avec son épouse, Rosette Marescotti.
*humanitude.fr
« Vieillir est un combat… possiblement joyeux »
Entretien avec Olivier de Ladoucette, psychiatre et gériatre, attaché à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris).
Dans un entretien accordé au quotidien Le Monde en 2015, vous avez déclaré que les personnes âgées sont les « pionnières d'un mode de vie qui se multiplie vite, pour lequel nous manquons d'images identificatoires positives ». Êtes-vous toujours d'accord avec cela ?
Plus que jamais. Nous vivons dans une société qui a le privilège de vieillir, mais qui ne respecte pas les vieux. Or, le jeunisme va être fortement entamé. Il l'est même déjà sous la pression démographique. Les seniors, de plus en plus nombreux, vont refuser d'être déconsidérés. Avec l'allongement de l'espérance de vie, au moment de la retraite, ils comprennent qu'ils ont trente ans devant eux pour faire des choses intéressantes, et ce sont eux qui proposeront des modèles !
Qu'entendez-vous par là ?
C'est à eux de se prendre en mains : ils doivent faire plus de choses pour la société, en s'investissant dans le monde associatif, par exemple. Cela donne du sens à la vie, permet de garder espoir et offre un modèle identificatoire aux jeunes générations. Se rapprocher de la spiritualité -pas nécessairement religieuse, parfois tout à fait laïque- y aide, si l'on y consacre du temps. Aujourd'hui, on est beaucoup dans l'avoir et le faire, mais on peut aussi être, tout simplement.
Vous voulez dire qu'en tant que personne vieillissante, on peut s'écarter du culte de la performance, et que savourer un rythme différent est possible ?
Par exemple. On peut aussi s'ouvrir au monde. Notamment avec des outils comme Internet. Les seniors l'ont bien compris, ceux qui ont moins de soixante-quinze ans aujourd'hui sont très connectés. Au-delà de cet âge, ils le sont de moins en moins, étant plus intimidés. Il n’empêche : les générations à venir seront plus nombreuses à avoir été formées et pourront en profiter.
Quelles autres conditions d'épanouissement au vieil âge citeriez-vous ?
La mémoire affective est ce qui résiste le mieux au temps, y compris en cas de maladies neurodégénératives. On peut s'appuyer dessus, tout simplement en étant dans l'affect avec les personnes vieillissantes, en les prenant dans ses bras. Le système sensoriel peut être émoussé avec le temps, mais il y a des portes d'accès chez chacun pour réactiver l'émotion : par le goût, la musique, une étreinte, une conversation...
Cela passe apparemment beaucoup par le plaisir ?
En effet. Il s'agit d'entretenir sa réserve cognitive, autrement dit son capital cérébral. Et la meilleure manière de le faire mêle plaisir, stimulation intellectuelle et convivialité. Tout ce qui est amusant est bon à prendre. Le plaisir génère la motivation, primordiale mais pouvant, elle aussi, être émoussée.
Il faut lutter contre les stéréotypes. Vieillir est un combat, qui n'est certes pas facile, mais que l'on peut mener joyeusement. Les outrages du temps ne sont pas forcément désespérants. L'homme s'adapte à tout, y compris à la vieillesse.
Quelques données :
- En France, l'espérance de vie à la naissance reste stable pour les femmes (85,3 ans). Elle progresse pour les hommes (79,5 ans). Source : Insee.
- L'espérance de vie en bonne santé* est inchangée depuis dix ans. Elle s'établit à 64,1 ans pour les femmes et à 62,7 ans pour les hommes.
*c'est-à-dire le nombre d'années qu'une personne peut compter vivre sans souffrir d'incapacité dans les gestes de la vie quotidienne.
Source : DREES.
- L’âge moyen d’entrée en institution pour personnes âgées est passé de 82 ans en 1994 à 85 ans et deux mois en 2015.
Source : DREES.
- D'après les projections démographiques, un tiers des personnes vivant en France auront plus de 60 ans en 2060. L’âge moyen de la population française serait alors de 45 ans.
Source : Insee.
- On pourrait compter pas moins de 200 000 centenaires en France en 2060.
Source : Insee.