Article paru dans Zibeline n° 38
Le bâtiment de la Bibliothèque Départementale des Bouches du Rhône héberge jusqu'au 16 avril 2011 une exposition magnifique. Magnifique, parce que ce que l'on y voit est beau : les photographies sont expressives, bien cadrées, bien construites, et les textes, maquettes et illustrations sont tous de grande qualité. Mais elle est surtout magnifique par ce qu'elle offre généreusement : un accueil et une chaleur humaine rare.
La scénographie inventive et empreinte de sens du détail invite au voyage tout autant qu'à s'attarder auprès de chacune des personnes rencontrées. Dépaysement : le « bled » est loin, on est invité à s'y rendre via différents itinéraires, par le Sahara et les oasis ou par la côte. De Bou Saad, petit village du sud tunisien, on dirait que les artistes ont tiré la substantifique moelle ; riche idée d'associer images fixes et sons ! Quelques réglages techniques et l'i-pod gracieusement prêté à l'accueil nous transporte à l'ombre d'un palmier. Des enfants s'ébattent, un mécanicien fait vrombir un moteur (la 404, le dromadaire du désert), l'instituteur du village murmure, un slammer écrit à sa mère et une vieille dame évoque le passé en caressant son chat.
Un mot vient à l'esprit : présence. Il est aisé de s'attarder ici ou là, selon qu'un objet détourné de sa fonction première avec ingéniosité aura retenu notre regard (ah, poésie des coussins-millefeuilles en boîtes d'oeuf, du « kanoun*1 » fait avec une jante en métal ! On est loin de notre culture de l'abondance et du gaspillage), ou que soudain un visage se mette à nous parler intimement.
Du récit et de la musique partout, de vieux écouteurs en bakélite, une chanson de Pigalle, « Dors petit bled », plus loin quelques portraits en pied et la possibilité d'entendre chaque homme et chaque femme vous livrer son histoire dans le creux de l'oreille. Voilà la cornemuse traditionnelle dite « mezwed », dont le nom signifie viatique, la provision que l'on emporte pour la route ; elle est arrivée ici au temps des croisades. Et l'art postal, l'atelier d'écriture, les planches de bandes-dessinées... Qui eût cru que le mot « bled , évocateur de grammaire ou de mal du pays, éveille tant d'échos ?
C'est qu'il y en a, des choses à voir, dans cette exposition, à tel point que l'on se demande si l'on a pas réellement été embarqué en voyage, le temps d'une après-midi ! Et c'est bien le cas, en quelque sorte, puisqu'à l'heure du retour on a encore en tête la voix douce d'un adolescent chantant en arabe le dépaysement.
A l'origine de ce beau séjour, deux jeunes gens partis de la Drôme pour découvrir le monde. Ils l'ont fait avec grâce, pudeur et générosité. Merci, Samuel Keller, Michaël Zeidler, commissaires de l'exposition et membres de l'association l'Omnibus. Nous ne vous oublierons pas.
*Sorte de brasero fonctionnant au bois ou au charbon